Elisabeth de Barbanson

Psychologue, psychothérapeute de couple à Lyon 7

Le couple : une obsolescence programmée ?

programme colloque Nice 2017

L'expression "obsolescence programmée" désigne les stratégies mises en oeuvre pour réduire la vie d'un bien. Le couple subirait-il, lui aussi, des stratégies du même type ? Sa durée de vie serait-elle programmable ?

L'usure du couple est une question centrale de la clinique conjugale :
"Avant, on se parlait, on s'écoutait, on se comprenait… On avait des projets, on voulait construire l'avenir ensemble ... Que reste-t-il de notre amours ? Aujourd'hui, plus de désir, plus de fusion, que reste-t-il du bonheur des premier temps ? Nous ne sommes plus un couple ... Tout juste des colocataires, déçus et fatigués avant l'heure… Alors que faut-il faire ?"

En séance, de nombreux conjoints font ainsi le procès du temps. Pour eux, le procès est assassin, le couple ne résiste pas à ses méfaits. Le clinicien est lui-même interpellé quant à ce rapport au temps. Doit-il combattre les processus qui limiteraient la durée de vie de couple ? Comment penser la temporalité de son travail ?

Comment appréhender la longévité du couple ?
Comment appréhender les représentations de la temporalité conjugale ?
Comment appréhender les représentations de la temporalité clinique ?

Voici l'acte 4 du colloque :

Scène 4

Audition d’une psychologue
Élisabeth de BARBANSON, Différents temps vécus dans le couple

L’AVOCATE du COUPLE :
- Madame de Barbanson, vous êtes psychologue psychothérapeute, membre de l’Institut de Psychanalyse de Couple et vous travaillez à Lyon. Ma question sera très simple : Existe-t-il une théorie psychologique qui explique les effets du temps sur le couple ?

Élisabeth de BARBANSON :
Oui, Maître, il existe bien une « théorie psychologique » qui explique les effets du temps dans le couple. C’est une théorie décrite à la fin des années 70 par un psychanalyste : Jean Georges Lemaire. Je l’appellerai la théorie des phases conjugales. C’est un modèle qui se décline en 3 temps : l’idéalisation, la crise et la désidéalisation.

Par contre, avant de vous les expliquer, il me semble intéressant de souligner que nous tombons amoureux, ou nous avons envie de faire couple, lorsque nous ne sommes pas au meilleur de notre forme psychologique, mais dans une phase un peu dépressive, une phase de manque. Cela a été décrit par le sociologue Francesco Alberon dans son livre « le choc amoureux », il écrit « La surcharge dépressive précède l’amour naissant ». On ne s’en rend pas compte, fort heureusement. Ce n’est que dans une relecture de l’aventure amoureuse que nous pouvons constater ce phénomène. Mais il me semble important de ne pas négliger ce petit temps d’avant la formation du couple car il va contribuer à l’idéalisation, ce premier temps de vécu du couple.

La compréhension de ce processus fondamental de l’idéalisation dans la relation amoureuse exige que l’on comprenne les bénéfices que chacun trouve ou « retrouve » dans cette union que l’on associe avec les éprouvés des premiers liens avec la mère. Ce temps actuel nous ramènerait donc à un autre temps, réveillerait un autre temps déjà vécu antérieurement ; un temps qui serait assez proche d’un sentiment océanique, d’une illusion de toute puissance. Cette période est souvent vécue comme un moment heureux, merveilleux, idyllique. Le partenaire est vu comme un idéal. Cette idéalisation de l’autre maintient la méconnaissance d’une certaine réalité. Elle supprime radicalement toutes les situations de déplaisir, elle s’accompagne du déni de tous les aspects insatisfaisants de l’autre. Ce qui ne plait pas, est déposé ailleurs, chez quelqu’un d’autre. C’est ce processus que l’on appelle le clivage.

L’idéalisation va imposer un clivage, une séparation à l’intérieur de soi entre ce qui apparaît bon et ce qui apparaît mauvais, entre ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas voir, entre ce que l’on veut montrer et ce que l’on veut cacher. Chacun sera perçu à travers ce clivage. Dans cette phase d’idéalisation, on ne voit et on ne garde que ce qui convient. La perception est faussée, autant chez soi que chez l’autre. On met en quelque sorte la négativité en dehors du couple qui apparaît comme idéal !

Mais après un certain temps, ce processus d’idéalisation ne peut plus être maintenu. L’illusion s’estompe et va créer une crise. C’est toute la perception de l’autre qui se trouve modifiée. Le processus de crise est introduit par la déception éprouvée en face d’une défaillance supposée de l’autre. L’agressivité, la critique jaillissent car le regard sur l’autre se modifie. C’est comme si on avait changé de lunettes. On regarde la même personne, mais on ne la voit plus comme auparavant. L’image ne correspond plus. Il y a comme une erreur.

La crise va être suivie d’une période que l’on appelle la désidéalisation. A ce moment-là, le couple vit des moments difficiles, des désenchantements. Afin d’être vu dans sa globalité, chacun doit se réapproprier les éléments de l’autre et de soi-même qui, auparavant, étaient mis de côté. Cette phase de désidéalisation peut être très douloureuse. Néanmoins la désidéalisation peut être perçue comme un processus dynamique. Elle va permettre, dans le meilleur des cas, la rupture de l’idéalisation et du clivage et le retour de l’ambivalence dans la relation. Selon Jean Lemaire, ce temps de désidéalisation est nécessaire pour que le couple perdure dans le temps.

Pour conclure, je dirais que l’essentiel à retenir de cette théorie est l’impact et l’importance du passé, et ceci à deux niveaux : le premier concerne la répétition d'un type d’amour du passé, et le second concerne le retour d’un type de fonctionnement psychique, essentiellement infantile, qui est le clivage.

Voilà maître, la théorie psychologique la plus habituelle au sujet du couple et du temps.

Le PRÉSIDENT :
- Je vous remercie Madame de Barbanson. Monsieur Le Temps, avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?

MONSIEUR LE TEMPS.
- Monsieur le Président, j’ai cru que j’allais pleurer. Elisabeth, je te tutoie, tu veux bien, je t’ai connue toute petite. Tu parles bien, mais ce que tu viens de dire, c’est pas possible, ç’est tellement prévisible. Je connais la chanson : “ Avec le temps va, tout s’en va. Avec le temps on n’aime plus », c’est archi connu ! « C’était mieux avant », c’est ça que tu penses vraiment ? Mais tu sais Elisabeth, le vrai avant, le seul avant, il n’y a que moi qui l’ai connu : avant la golden.

Monsieur le Président, vous savez quelle différence il y a entre un psy et un amoureux déçu ? Aucune différence. Ils ne jurent que par le passé. Freud, ou Proust, ils disent la même chose : le passé, le passé ! Ils sont à la recherche du temps perdu de leurs amours premiers. C’est dans le passé qu’ils cherchent le sens de leur vie. C’est pas possible.

Remarquez un peu plus tôt, quand les savants croyaient en Dieu, c’était l’inverse. C’est dans le futur qu’ils cherchaient le sens de leur vie. Ils pensaient qu’à leur paradis qu’ils devaient gagner. C’est dingue les mortels, ils compliquent tout. Ils ne peuvent pas vivre un futur simple. Le présent, pour eux, c’est de l’imparfait. Ils rêvent leur passé au plus-que-parfait. Jamais ils sont dans le bon temps. Incapables de conjuguer leur vie ; et bien sûr, c’est toujours moi qu’on accuse, mais c’est trop facile.

Le PRESIDENT :
- Maître, s’il vous plait, vous pouvez modérer votre client ?

L’AVOCATE de MONSIEUR LE TEMPS :
- Désolé, Monsieur le Président, je vais essayer, mais vous savez Le Temps est imprévisible. Je voudrais poser une question à Madame de Barbanson. Dites-moi Madame, personnellement, qu’est-ce que vous pensez de cette théorie des phases dont vous parliez ?

Élisabeth de BARBANSON :
- Je pense que cette théorie a sa pertinence, la clinique nous la confirme. Mais comme toute théorisation, elle exige de la prudence. Il importe de toujours replacer une théorie dans son contexte historique. Néanmoins, il me semble que quelle que soit la théorie présentée, nous trouvons des constantes : le choix d’un couple ne se fait pas par hasard, il y aura toujours une attente, un fantasme inconscient que l’autre vienne nous combler, nous réparer de nos failles. Et nous observons que plus l’attente, consciente et inconsciente, est grande, plus la déception risque d’être importante. La personne choisie ne sera jamais exactement comme on l’attendait, comme on la désirait. Il y aura toujours un écart. Cet écart pourra être conceptualisé différemment selon les théories mais presque toutes feront un lien avec l’histoire, le passé des partenaires.

Certes, cette théorie des phases conjugales concerne le couple plus que l’amour. Elle peut être perçue comme assez normative principalement quand le psychanalyste Jean-Georges Lemaire dit que pour lui, le couple dit « mature » serait celui qui saurait traverser la crise de désidéalisation. L’amour dont il est question n’est pas défini. Mais dans tous les cas, comme dans toute relation, des deuils seront à faire. Des deuils plus ou moins importants, plus ou moins silencieux. Et c’est la capacité ou non à faire ces deuils qui présagera en partie de l’avenir du couple dans le temps.

Chaque couple est unique, singulier. Et ce qui me semble primordial ce n’est pas tant ce modèle d’idéalisation et de désidéalisation que la manière dont les partenaires communiquent ensemble. Pour les couples qui voudront devenir ou rester vivants, la communication jouera un grand rôle, entre autre pour le sentiment de constituer un « nous ». Cette communication dépendra de la possibilité de chacun à oser parler, à oser se dire en profondeur, sans angoisse, sans crainte. Une profonde communication va permettre de goûter différemment la présence de l’autre.

Aussi, quelle que soit la théorie proposée dans le champ de la psychologie, j’aime personnellement l’idée de tendre vers ce qu’énonce Marie de Hennezel, quand elle dit : « il faut découvrir et développer en nous ce qui ne vieillit jamais ». J’imagine que vous vous demandez quelle est cette capacité en nous qui ne vieillit jamais. La réponse est fort simple. C’est la capacité d’être dans le présent, c’est la qualité de notre présence à l’autre. L’amour existerait-il sans le don d’une présence à l’autre. Mais c’est tout un travail. Et ce travail demande du temps.

Voilà Maître ce que je pense au sujet de cette théorisation.

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